Faut-il citer les langues bibliques dans les prédications du dimanche ?

HerméneutiquePrédication et enseignement

Régulièrement, des prédicateurs font appel au grec ou à l’hébreu durant la prédication. Personnellement, je l’ai fait par le passé, mais depuis longtemps, je m’interdis de le faire.

Pourquoi? Voici 3 de mes raisons:

Cela suggère aux gens qu’ils n’ont pas les connaissances indispensables pour comprendre la Parole de Dieu.

Quand le prédicateur cite tel ou tel mot et en donne sa traduction —qui lui semble meilleur que celle des Bibles—, il enseigne quelque chose: “Sans les langues bibliques, vous ne pouvez pas connaitre Dieu comme moi, je le connais.”

Cela peut donc créer dans le cœur des sœurs et des frères un sentiment d’avoir un profond handicap dans la connaissance de Dieu à cause d’un manque d’érudition. Et que dire pour les non-chrétiens présents!

Le message de l’Évangile est pour toutes les nations, la Parole de Dieu sous-entend elle-même qu’elle doit être traduite (Ac 1.8) et elle-même a été traduite dès le début: Jésus ne parlait pas en grec avec son peuple. C’est sans la foi qu’il est impossible de plaire à Dieu, pas sans l’érudition (Hé 11.6).

Le prédicateur peut citer plusieurs traductions ou expliquer les enjeux de l’interprétation si c’est vraiment nécessaire. Mais s’il explique bien le sens du texte en respectant l’intention de l’auteur inspiré, c’est amplement suffisant dans le cadre de la prédication.

Le but est de la prédication est de nous faire connaitre Dieu, pas les langues. D’autres cadres sont plus propices pour cela comme des études bibliques approfondies, des cours de théologie, dans des articles, des livres… L’apport des langues bibliques dans ces contextes est d’une infinie richesse.

Cela évite de dire des bêtises à cause de notre orgueil

Je ne suis pas compétent en langues bibliques. J’utilise donc de très bons outils de recherche (Logos, etc.), des commentaires techniques et je pose des questions à des amis qui le sont quand j’ai un doute.

En réalité, la plupart des prédicateurs qui n’ont pas étudié les langues en cours citent à l’aveugle durant leur message ce que disent des commentateurs.

J’ai entendu plusieurs sermons sur Jean 21.15 où le prédicateur répète l’erreur suivante: Jésus demande à Pierre “m’aimes-tu?” (agapao) et la réponse de Pierre “tu sais que je t’aime (phileo). Certains commentateurs (la Bible Scofield par exemple), ont présumé un décalage entre la question de Jésus et la réponse de Pierre (Jésus demande à Pierre s’il l’aime d’un amour inconditionnel agapao), mais Pierre répond en lui déclarant un amour filez (plus faible). Finalement Jésus demandera à Pierre s’il l’aime en utilisant phileo. Conclusion de Scofield, Jésus affirme à Pierre: “Même si tu ne peux pas me donner à tes sentiments l’intensité exprimée par agapao, tu dois cependant paître mes brebis.” Jésus remettrait en question le premier commandement?

Pourtant, de nombreux travaux ont réfuté cette interprétation (voir à ce sujet les travaux de S. Romerowsky dans Les sciences du langage et l’étude de la Bible, p.224, ou D. A. Carson dans Erreurs d’exégèse qui ont démontré que dans ce contexte, agapao et phileo sont parfaitement interchangeables.)

Ainsi, en voulant passer pour un spécialiste, alors qu’on ne l’est pas, on dit des bêtises.

Honnêtement, lorsque j’ai utilisé les langues bibliques dans mes prédications, c’était plus pour impressionner ou asseoir ma posture que pour réellement édifier. Rien ne vaut une citation d’une langue morte pour passer pour plus érudit qu’on ne l’est. C’était de l’orgueil.

Combien de prédicateurs citent le grec ou l’hébreu sans eux-mêmes avoir fait une correcte exégèse du texte?

Avant de vouloir montrer notre connaissance linguistique, posons-nous les bonnes questions:

  • Est-ce que cette citation apporte quelque chose d’indispensable à mon Église?
  • Est-ce que sans cette citation des langues, je ne peux pas faire comprendre ce texte?
  • Est-ce que si je cite le texte original, je sais vraiment de quoi je parle?

Cela leur enseigne que leur Bible n’est pas suffisante

L’Islam enseigne que l’Arabe est le seul langage saint: pour prier et s’approcher d’Allah, il faut lui parler dans sa langue. Il n’est pas de même avec le Dieu de la Bible: Il a parlé à différentes époques et dans différentes langues. Par sa Parole, il se révèle et s’adresse à tous les hommes.

L’étude des langues est très importante pour les pasteurs et les théologiens: ils vont dans l’original pour s’assurer qu’ils comprennent bien ce que l’auteur voulait dire. Mais une fois ce travail effectué, leur ministère consiste à vulgariser, passionner et édifier l’Église par la Parole de Dieu.

La traduction des Écritures est l’un des plus exigeants et précieux ministères de l’Église. Indispensable. Nous devons prier pour nos exégètes et soutenir leur ministère.

Du moment que nous savons que nous avons de bonnes traductions des Écritures, les chrétiens peuvent avoir l’assurance qu’en lisant leur Bible dans leur langue, ils peuvent connaître Jésus-Christ et son œuvre à la croix.

Pour conclure, je précise que je ne vise aucun serviteur de la Parole de Dieu en particulier.

Je ne dis pas que ceux qui citent les langues bibliques le font par orgueil, ce qui fût mon cas.

Je reconnais également qu’il se peut que cela étaye puissamment un propos. Mais je pense que d’une manière générale, nous devons nous inspirer des prédicateurs qu’étaient Jésus, les prophètes et les apôtres: ils étaient simples, profonds et puissants.

Les difficultés à se faire comprendre dans une société postchrétienne sont déjà grandes. N’en rajoutons pas.

Raphaël Charrier

À 17 ans, Raphaël s’engage dans l’armée dont il est renvoyé moins de deux ans après. Il reprend alors l’école et obtient le bac à 23 ans. C’est à ce moment qu’il découvre la personne et l’œuvre de Jésus-Christ et place sa foi en lui pour être sauvé. Il poursuit ses études et devient Éducateur Spécialisé. Il s’oriente ensuite vers des études de théologie à l’Institut Biblique de Genève, puis à la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-Sur-Seine, afin de se consacrer au service de l’Évangile.

Raphaël a été pasteur de l'Église Chrétienne Évangélique de Grenoble pendant 9 ans. Il sert désormais l'Église comme enseignant. Il est marié à Marion et ils ont deux enfants. Il est auteur du livre Vivre pour Jésus, qui a pour objectif d'aider les chrétiens à poser les bons fondements de la vie chrétienne, et coauteur de L'Évangile.net: 7 signes, une ressource d'évangélisation basée sur l'Évangile selon Jean.

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